Nombre de lieux collectifs, pour ne pas dire tous, voient vivre ensemble des personnes aux statuts différents. Ces statuts peuvent être liés :
à l’ancienneté sur le lieu (entre ceux qui débarquent et ceux qui sont là depuis 30 ans),
à des questions économiques (ceux qui sont propriétaires et ceux qui ne le sont pas, ceux qui sont salariés du projet et les bénévoles),
à un rapport à l’engagement (du woofer qui vient 15 jours à celui qui a mis toutes ses économies dans l’achat d’un terrain et la rénovation d’un lieu pour y créer un lieu de vie collectif, en passant par ceux qui choisissent de venir quelques mois ou une année).
De ces différences de fait, découlent des avantages pour certains :
les plus anciens sur le lieu ont souvent plus de connaissance du lieu, de son fonctionnement, de ses habitants et voisins, ils sont souvent plus “utiles” et autonomes sur leur activité que les personnes de passage, qui ont besoin qu’on leur explique le fonctionnement du lieu et comment rendre service,
ceux qui sont le plus engagés portent souvent de manière formelle ou informelle “l’âme du lieu”, ils sont souvent garants de ses valeurs, de l’ambiance, de l’accueil des nouveaux, des règles, et aussi du bon fonctionnement économique de la chose, ils sont dans les organes de décisions, et occupent des rôles à responsabilité.
Les plus anciens et/ou plus engagés ont aussi souvent les meilleurs emplacements (chambres, yourtes, maison...), et ils connaissent les astuces qui permettent de se rendre la vie plus douce (où est caché le chocolat, quelle douche a la meilleure pression...).
De l’autre côté, les personnes qui acceptent de venir 15 jours ou quelques mois, aident au quotidien à faire tourner la “maison”, ils contribuent par leur travail, par leur énergie, leurs nouvelles idées. Bien souvent, ils occupent des rôles à moins grande responsabilité, parfois un peu routiniers, ils ont des chambres plus petites ou partagées, et ils ne participent presque pas aux décisions. Mais sans les personnes de passage, beaucoup de lieux ne tiendraient pas debout.
Bref, on a besoin les uns des autres ! Et nos différences sont une richesse car si on était tous de passage, rien de solide ne se construirait et si on était tous engagés, on n’aurait peut-être pas assez de place pour loger correctement sur le long-terme tout le monde et on serait trop nombreux pour bien se connaître et construire ensemble.
Cependant, pour certaines et certains, cette différence de condition de vie sur un même lieu sont difficiles à vivre. En particulier, j’ai observé que les personnes qui ont le plus de responsabilité se sentent souvent coupables vis à vis des ceux qui ne font que passer, comme si les avantages de leur situation étaient indûs.
Il arrive aussi que certaines personnes qui passent un long temps sur un lieu (par exemple un an), souhaitent avoir d’avantage part aux décisions, même s’ils ne souhaitent pas s'engager sur le long-terme.
Il arrive également que les personnes qui passent pour quelques jours aimeraient voir ce qui sont là depuis longtemps faire les mêmes tâches et les mêmes activités qu’eux et avec le même enthousiasme, vivre l’égalité que la vie en collectif prône.
Ces différences sont bien souvent le terreau fertile à de nombreux conflits et malaises dans un collectif.
Abonnez vous à notre newsletter pour être tenu-e-s au courant de nos derniers articles !
Alors voilà quelques conseils pour bien vivre ces différences de statuts...
0/ Se rappeler que c’est un problème d’un collectif qui marche
Si vous avez ce problème, vous êtes victime de votre succès !
En effet, si vous avez ce problème, vous attirez des personnes dans votre collectif, ce qui est très bon signe, ces gens ont envie de rester, il se crée même des nouveaux statuts qui ne rentrent pas dans les cases, génial ! Ça veut dire que votre projet rayonne et attire des personnes, qu’il fait sens pour elles !
1/ Clarifier les différents statuts et les droits et devoirs de chacun
Comme souvent dans un collectif, la clarté est une solution miracle pour apaiser les tensions (même si en mettant de la clarté, il peut être malin de ne pas chercher à tout figer pour laisser la vie vivre !).
Savoir quels sont les statuts, quels en sont les droits et les devoirs, savoir comment on passe de l’un à l’autre, rend souvent les choses beaucoup plus faciles à vivre pour tout le monde.
Clarifier les rôles de chacun, en quelque sorte, les “règles du jeu” entre nous, aide aussi grandement : par exemple pour pouvoir participer à tel organe de décision, il faut s’engager à rester sur le lieu pour un certain temps (sinon qui va porter la décision prise, si ceux qui l’ont prise sont tous partis ?), cela apaise souvent les choses.
Clarifier également les responsabilités de ceux qui se sont engagés permet l’interconnaissance et l’intercompréhension : parfois, ceux qui passent ne réalisent pas le poids des responsabilités de ceux qui restent...
Et savoir que tout cela évolue avec le temps, que nous serons souvent obligés ou “invités” à les modifier, à les corriger, à les transformer selon les circonstances changeantes de la vie.
2/ Entrer dans une culture de la responsabilisation et de la subsidiarité pour que chacun sente son pouvoir d’agir dans le collectif
Ces différences de statuts sont une invitation à réfléchir à nos rapports au pouvoir, qu’on le “délègue”, ou qu’on l’exerce. Comment, chacun et chacune peut-il ou elle trouver une place adaptée dans son pouvoir d’agir ?
Je me clarifie :
ceux qui sont là pour longtemps et/ou s’engagent dans le projet, ont l’habitude d’avoir le pouvoir, et ils doivent apprendre à lâcher pour des décisions qui concernent tout autant les personnes de passage, et à faire valoir le principe de subsidiarité pour laisser à chacun son autonomie sur le domaine qui le concerne. Ne pas toujours tout contrôler, c’est délicat mais quand on s’y met, c’est un tel soulagement qu’on peut vite devenir addict !
Ceux qui sont de passage sont sur un chemin d’acceptation de règles qu’ils n’ont pas directement choisies mais choisies indirectement en faisant le choix de venir sur le lieu, ils sont dans un apprentissage de faire confiance sans comprendre tous les tenants et aboutissants des décisions, et c’est parfois douloureux !
3/ Créer des espaces de partage pour les membres de chaque statut
Chaque groupe vit des choses différentes sur le lieu : ceux qui sont là depuis longtemps et pour longtemps peuvent connaître une certaine fatigue, une érosion dans la capacité à se réjouir et à accueillir des nouvelles personnes, et ils ont besoin d’un endroit où partager cela et bien plus encore.
Ceux qui sont de passage sont dans la découverte, l’adaptation, la redécouverte d’eux-mêmes dans un lieu différent, ils cherchent à profiter de l’expérience à fond, sont prêts à organiser des activités tous les soirs, et ils projettent souvent sur ceux qui restent des figures parentales et rejouent leur relation à leur parents avec ceux qui sont là sur la durée (encore plus si les âges concordent).
On peut parfois voir des personnes faire des “crises d’adolescence” vis à vis de la structure qui les accueille, être dans la réaction, le jugement sur le lieu et son mode de fonctionnement. Ils arrivent parfois les yeux pleins d’idéal et au bout de quelques mois sont déçus par la réalité, avant de rebondir et trouver une vision plus ajustée de la situation. Ils ont aussi besoin d’espace pour traverser cela, le partager.
4/ Créer des espaces où la différence de statuts peut être oubliée
Et fondamentalement, nous sommes tous humains, tous pleins de qualités et de défauts, et les lieux de vie collective sont les lieux parfaits pour célébrer la diversité de la vie et notre capacité à vivre ensemble. Des espaces où les statuts peuvent être oubliés sont primordiaux.
Je pense par exemple à :
des fêtes
des repas
des temps de chantier en commun
des sorties...
Ces espaces nous permettent de nous découvrir différemment, et sont primordiaux pour une vie de groupe.
5/ Travailler à accepter la nécessaire verticalité d’une organisation collective
Nous sommes souvent dans une culture de la transition qui valorise l’horizontal, le faire ensemble, l’inclusion de tou-te-s, la construction collective.
Or, à partir d’un certain niveau de développement, un projet a besoin de remettre de la verticalité, de déléguer des tâches et des responsabilités à certain-e-s.
Le point clé, c’est de réussir à mettre de la verticalité dans l’organisation tout en gardant une horizontalité dans les valeurs : dans le concret du faire je te délègue telle ou telle tache ou responsabilité, mais dans le fond de mon coeur, je sais que nous avons une égale valeur en tant qu’êtres humains et à aucun moment l’un-e de nous ne se sent supérieur-e à l’autre.
Parfois, la verticalité dans les écolieux est très mal vécue par certain-e-s, car elle rappelle trop des blessures liées à la hiérarchie dominatrice d’autres organisations.
Plus nous aurons un rapport sain et apaisé à cette verticalité, et plus nous arriverons à la considérer juste, nécessaire et dénuée de valeur égotique, le plus nous serons au service de l'évolution du groupe et de notre évolution personnelle.
Voila tout pour aujourd’hui, et n’oubliez pas, pour vivre heureux, vivons ensemble !
Si vous avez du mal à trouver votre place dans un groupe, que ces questions de différences de statuts vous touchent, vous interpellent, contactez-nous pour partager votre expérience : centre.tenir@gmail.com, et participez à notre prochaine formation ouverte à tou-te-s : À ma place au sein d'un groupe, plus d'informations ici !
Comments